« Le Socialisme néomoderne… » Extrait n°3
A paraître le 18 mars, au Seuil
NB. Pour une pleine compréhension, Il est nécessaire de lire les extraits
dans l'ordre de publication.
(…)
Durant ces trois siècles derniers, le renversement libéral du monde s’est efforcé de construire une société harmonieuse par l’expansion des libertés individuelles et de la production. Cette méthode était fondée sur une erreur anthropologique, puisqu’en réalité ce sont l'intensification et la diversifivation des liens sociaux qui construisent la liberté d'un être singulier, et ce sont ces liens, et non les biens, qui permettent à chacun de grandir. Certes, tout comme de fausses théories astronomiques ont longtemps conduit les navires à bon port, cette erreur a durablement permis l’arrachement de l’individu à l’obscurantisme, le recul du despotisme, le progrès des connaissances et l’essor de la démocratie que nul ne saurait contester ou regretter. Mais, dès lors que cette voie patine dans l’impasse fabriquée par son succès même, face à l’échec du libéralisme, face à l’impossibilité de vivre libres et ensemble sans morale et sans liens, face à l’impossibilité de consommer toujours plus, le temps est venu de corriger l’erreur moderne pour sauver l’acquis de la modernité et pour conjurer la tentation d’une grande régression.
Le temps est venu de renverser la perspective moderne, d’offrir à la liberté un nouvel avenir en reprenant la quête d’une construction sociale de la liberté.
Le renversement socialiste
Une construction sociale de la liberté. Telle a précisément été l’essence originelle du projet socialiste, de Leroux à Blum, en passant par Marx et Jaurès, à savoir: s’appuyer sur les liens sociaux, la communauté politique et l’action collective pour construire la liberté des individus.
Il nous faudra ici dissiper un contresens fréquent sur le rapport entre le socialisme et le libéralisme. Le libéralisme n’est pas la doctrine ou la politique qui vise la liberté en négligeant la cohésion sociale, la justice et le bien commun. Le socialisme n’est pas, à l’inverse, la doctrine ou la politique qui vise une société juste et solidaire en restreignant la liberté individuelle. Ces préjugés courants énoncent à peu près le contraire de ce qui constitue la vraie nature des deux philosophies politiques en question. Les diverses branches du libéralisme ont toujours visé le bien commun et/ou la justice, tout en pensant que le meilleur moyen de les promouvoir consistait le plus souvent à laisser libre cours à l’initiative individuelle. Il s’agit donc bien, pour les libéraux, de construire la bonne société par la liberté.
De son côté, le socialisme, héritier de la philosophie des Lumières et du libéralisme, reconnaît les progrès accomplis grâce aux libertés politiques et aux droits de l’homme, mais constate l’incapacité de la méthode libérale à accomplir la promesse faite à tous les hommes d’une égale et réelle liberté de mener leur vie. Parce que le droit libéral s’arrête aux portes des entreprises et livre les échanges à la concurrence entre des acteurs inégaux, la société libérale instaure l’inégale liberté, la domination des plus forts et des plus riches, l’aliénation des travailleurs à la merci des détenteurs des moyens de production. Le socialisme n’entend donc pas abolir purement et simplement le libéralisme. Il entend accomplir la promesse bafouée de
En cela, le socialisme des origines est, dès le milieu du xixe siècle, l’ébauche d’un dépassement de la modernité. Plus précisément, le socialisme démocratique et républicain français, avant sa conversion tactique au marxisme tronqué des guesdistes, a constitué l’amorce d’une pensée néomoderne susceptible d’accomplir la promesse moderne de l’émancipation en remettant à l’endroit le rapport entre individus et société. C’est ce retournement de perspective que j’appellerai le «renversement socialiste»: il ne s’agit plus, comme le croyaient les libéraux, de construire la société par la liberté des individus, mais de construire la liberté réelle de tous les individus par la transformation de la société; l’émancipation ne surgira pas de la simple destruction des liens sociaux anciens, livrant les individus à la fausse liberté de la compétition des intérêts privés; elle progressera grâce au remplacement de ces liens qui aliènent par les liens qui libèrent (les droits sociaux, la fraternité, la solidarité, la libre association). Ce renversement de la pensée, que l’on peut situer au carrefour des années 1830 et des années
… À suivre …
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